Préface: 
Deux ou trois fois par an, je m'essaie à l'écriture d'une petite nouvelle.
Vos commentaires et vos courriers me confortent à chaque fois ,
pour récidiver! 

La nouvelle de cet automne est totalement imaginaire;
elle se compose d'épisodes à publier tous les trois jours.
N'y cherchez pas de ressemblance avec moi , ni avec qui que se soit.
Par contre, les lieux sont bien réels .

Bonne lecture ( enfin, j'espère😏)

🐞

 

La maison abandonnée
Chapitre premier

L'heure est grise

Musique forte et bruits mécaniques envahissent l'habitacle.
Mes mains crispées sur le volant négocient les méchantes courbes.
Mes larmes coulent pour noyer ma rage.

Vite, trop vite ! Mon véhicule décolle sur les dos d'âne

no mans land, quasi désert à cette heure, approche du danger,
sensation de peur, frôlement de l'envol...< c'est la route des marais >
Mon défouloir, mon trop plein de retenues, de cris étouffés,
de larmes avalées.
Ici, c'est mon Anti-inflammatoire pour maux de l'esprit !!!
Seulement besoin d'air !!!
Au fil des kilomètres, la rage s'apaise, le pied se fait plus léger
sur la pédale d'accélérateur et le corps, chamallow dans le siège baquet.
Petit à petit, le regard se détache de l'asphalte.
Autour, beauté vide du néant, de l'abandon, pourtant pas de désolation...
Non, partout la vie règne.

Dans les vieux labours plantés de bosquets d'épineux,
des chevaux libres et fous s'ébattent, pourchassés par des nuées
de mouches vertes.

Quelques vaches placides mastiquent l'herbe sale, laissant ça et là,
d'énormes bouses bleues, délices appréciés des pique-bœufs,
immaculés et hautains.

Les canaux, qui dégueulent un trop plein d'algues putrides, suffisent
aux colverts et à la poule d'eau; mais le héron s'en balance;
le bec dans la vase, il traque l'écrevisse, l'anguille ou la grenouille.

Des ragondins jonchent la route, les tripes à l'air; Corbeaux, buses
et autres faucons sauront s'en occuper.

La cigogne, touriste fidèle, nous fait l'honneur d'une halte
dans un haut nid, construit pour elle;
De ce mirador, elle contemple surement, cette fracture ouverte,
séparant les terres, pour offrir à ce fleuve crémeux la place d'un estuaire
.

                                               *****************************
Le ciel s'embrase de rouge, strié de violet ; l'heure n'est plus au gris.
Le calme coule à nouveau dans mes veines.
J'arrête ma voiture, j'éteins la musique qui hurle du Bob Marley,
et je descends faire quelques pas dans un petit chemin en grave blanche.

L'air est doux même si il transporte des relents de marais
jusqu'à mes narines.

A moins de cent mètres, derrière un taillis d'arbustes malingres,
j'aperçois un bout de toit en tuiles canal, traditionnelles des vieilles

maisons girondines.
Ma curiosité me distrait de toutes ces idées noires qui m'accablaient
encore une heure auparavant.

Partout dans les marais, trônent ici et là, des ruines de logis,
des témoins d'avant, ceux de ''l'Autrefois''.

Depuis longtemps, les hommes et les chiens sont partis,
laissant au temps, le droit de faire son œuvre destructrice.

j'arrive devant une adorable maison en pierre, encore debout,
même si son état suscite quelques inquiétudes.
je ris en me parlant tout haut:
<-Tu es trop drôle, Pauline! C'est le moins qu'on puisse dire.
<-Faudrait un sacré lifting pour lui redonner un peu d'allure.

Il n'en faut pas plus pour que je pense à ma maison.
J'ai laissé derrière moi ses murs tièdes.
Peut-être m'attend-t-elle, la lumière allumée.
                                                        *****************

Avant d'avancer davantage, je m'assois sur une grosse pierre
qui a dû jadis servir de banc à des paysans fatigués qui, si j'en crois
le gros anneau de fer planté dans le bloc, devaient y attacher
leurs chevaux au retour des labours.

D'ici, j'aperçois un peu l'Estuaire. La vue est magnifiquement déserte.
Personne, ni sur terre, ni sur l'eau. Chance ! Je suis seule au monde!

Je m'appelle Pauline; j'ai une belle cinquantaine, je suis mariée,
je n'ai pas eu d'enfant, et j'ai une vie de merde !
Voilà le décor est planté; en disant cela, j'ai presque tout dit !

Pourquoi suis-je là ?
Comme je vous l'ai dit, il me fallait me défouler pour calmer la rage
qui m'envahissait toute entière au point de risquer l'implosion.
Je suis mariée à un homme qui n'a plus sa tête, ni ses jambes d'ailleurs.
La maladie lui est tombée dessus bien avant qu'on puisse s'y attendre.
Tellement, que la déchéance s'est faite grave très rapidement et la
semaine passée, il a du être ''interné'' en maison de santé spécialisée.

Après avoir réglé les nombreuses formalités, qui ne m'ont laissé aucun
répit pendant plusieurs jours, je me suis retrouvée seule avec mon chat,
dans ma grande maison, aussi vide que ma tête, en état d'arrêt cérébral !
Comme si l'image et le son avaient cassé brusquement
et faisaient un point fixe.
Je ne pensais pas ressentir cette absence avec tant de force...
et c'est une colère sourde qui s'est installée en moi, comme toujours
devant toutes les formes d'injustices.
Pourtant, souvent, je râlais après toute cette pression qui m'incombait
du fait de son incapacité à être encore l'homme choisi pour partager
ma vie entière.

Alors une fois de plus, j'avais emprunté cette ''route des marais''
que j'appelais mon défouloir, pour y risquer ma vie!!!
<-C'est bête, hein ? Oui, je sais, il manquerait plus que je l'abandonne...!>

                                                                 …....................

Je me décidais enfin à quitter cette pierre pour avancer plus loin
vers cette maison délabrée, qui pourtant m'attirait comme le papillon
vers la lumière. Je lui trouvais un charme fou.
Les volets, peints dans ce vert d'eau très régional, un peu fané certes,
avaient encore de belles années à vivre;
La porte pleine, avait dû être forcée par des squatters, elle avait souffert;
un vieux loquet rond pendait sur le bois clouté, mais elle fermait encore.
Elle avait du être de belle facture dans sa jeunesse.
Les murs de la façade perdaient l'enduit par plaques pour laisser voir
de beaux moellons, plutôt sains.
 Quatre petites fenêtres, très proches du toit, me faisaient penser,
que comme souvent par ici, qu'il devait y avoir un grenier.
Après avoir fait le tour, je revenais vers la porte et à ma grande surprise ,
elle s'ouvrit sans résistance.
Pas de serrure, pas de clés;  on aurait dit qu'elle m'attendait !

Je restais interdite sur le seuil, essayant de deviner l'intérieur
de la pièce sombre où les grosses poutres du plafond un peu bas,
n'arrangeaient rien à la luminosité!
je devinais à peine les contours de cette grande salle, au sol pavé
de carreaux de Gironde, rougeâtres.
L'odeur de renfermé me montait au nez, et je n'osais pas pénétrer
davantage, et puis il était tard; le jour déclinait trop.

Je décidai de rentrer chez moi et de revenir demain, en plein jour.


                                                                                            A suivre

 

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