Toi-Paradis

Toi-Paradis

Suite 2 .Le Jacquot

Ce qu'elle appréciait le plus dans cette maison, outre son implantation,
c'était sa terrasse couverte au milieu de l'entrée, cernée
par les deux chambres . Ça lui donnait un air de ''Landaise''.
Ça coupait le vent et le soleil trop violent du midi mais pour défaut,
ça empêchait de voir venir par les cotés
Elle y avait posé un banc de bois, adossé au mur de gauche,
et des transats réalisés en fer forgé par un artisan du coin;
elle les avait rendu très confortables, en y installant des gros cousins,
fait dans un tissu très chic.
Des lanternes dans le même style donnaient au soir venu, des ombres
fantomatiques du plus bel effet.
La table était une épaisse tranche de bois de chêne posée sur un tronc.
En son centre, chaque semaine, elle posait un bouquet différent …
quand elle n'avait pas de fleurs, elle faisait avec des mousses,
des branches et des feuillages, de véritables œuvres d'art...
Ah! elle avait de la gueule sa petite alcôve, se plaisait-elle à penser
lorsqu'elle était ''en pause'' en sirotant une menthe à l'eau,
à la tombée du jour...C'était son heure préférée.
Les écorces de pins rougeoyaient sous le soleil de l'ouest.
Et il n'était pas rare de voir sortir du bois quelques chevreuils,
craintifs certes, mais pas assez pour se priver des nourritures
qu'elle déposait tous les matins, à leur intention.
                                 ***************

Soudain, du bout du chemin, une chanson connue, sifflée avec brio,
la fit sourire... elle attendit que le son se rapproche et d'une voix forte,
elle dit:
<-C'est toi, Jacquot?
<-Et qui veux-tu que ce soit qui vienne jusque là,
    pour voir sa folle de sœur? Hein?
T'en reçois beaucoup des visites dans ton repaire de vieille renarde?->
Et tous deux éclataient de rire... en se serrant dans leurs bras!

Ah oui, faut qu'elle vous dise: lorsqu'elle a décidé de venir vivre ici,
c'est d'abord en pensant à lui: Son frère Jacquot!
Ils s'entendaient comme ''larrons en foire'' ;
leur​​​​​ seul point de désaccord était: la chasse !
Valait mieux éviter le sujet !
mais il en restait assez d'autres pour discuter des heures!
Jacquot était un beau gars de deux ans son cadet ;
un chasseur, pécheur, cueilleur ! et menteur, comme disait l 'adage
Non, pas vraiment menteur, mais il exagérait un peu , quoi...
Il était aussi un beau parleur, il aimait qu'on l'écoute ; les filles surtout;
Son grand plaisir était de pousser la chansonnette,
avec une belle voix grave; et il écrivait des poèmes 
Seule sa sœur était dans le secret.
Même si il faisait des fautes à tous les mots, elle n'en disait rien …
Ce qu'elle lisait, c'était son histoire à lui, tournée de façon touchante.
Elle connaissait tous les malheurs de sa vie, ses déboires conjugaux,
ses mauvais choix qui avaient jalonné toute son existence.
Et les textes, tellement sincères, lui arrachaient souvent des larmes!
Ils avaient cette phrase qui les faisait beaucoup rire:
<- Tiens, grand couillon, tu fais pleurer ta sœur !->


Elle adorait son frère et ne lui refusait rien !
Souvent en période de vache maigre chez lui, il arrivait avec un panier,
rempli de ses trouvailles !
<-Tiens, ma sœur?
    tu sauras quoi faire de ces quelques cèpes et de ces œufs->
<-Bien-sur Frérot,
   une assiette bien copieuse pour mon morfale préféré->
<-Rend toi utile alors. Va donc au jardin,
    il y a de la salade à coté du puits->
Et le voilà qui dépliait  sa grande carcasse en faisant mine de souffrir...
alors qu'il se régalait à l'idée d'aller jeter un œil à l'avancée du potager .
Au printemps, c'est lui qui passait plusieurs jours à retourner la terre.
Comme il connaissait tout le monde dans cette petite ville,
grâce à toutes ses passions, il récoltait on ne sait où, du bon fumier
pour enrichir son lopin de terre, plutôt sablonneux, pour qu'elle
n'ait plus qu'à semer et voir pousser de beaux légumes!
Les soirées s'écoulaient dans cette quiétude 
pleine de sérénité et d'affection.
La plus part du temps,
il avait le don de tourner tout drame en dérision,
et son catalogue de blagues valait son ''pesant de cacahuètes''
et des aller/retour au pipi-room....
Comme elle aimait, la Jeanne, ces moments partagés
avec ce qu'il appelait: ''le restant de ses écus'':
<- Qui? Ben...Moi ''pardine'' Reconnais que je suis ta seule richesse!->
A la mort de leurs parents, il ne leur restait plus que des souvenirs!
Pas besoin de se disputer un héritage, il n'y en avait pas!!!
Mais c'est à la mort de son époux, qu'elle se rapprocha de son frère,
par la chance d'avoir cette petite maison, près de chez lui.
Ah, non, qu'elle ne risquait pas de le vendre son ''Toi-Paradis ! ''

Sa vie de solitaire n'était pas difficile à supporter et son deuil était ,
grâce à Jacquot, bien plus habité de rires que de pleurs!
Quand elle était seule devant son petit parc,
elle n'en croyait pas ses yeux !
Même en cherchant loin,
elle ne se souvenait pas d'avoir été aussi heureuse.
Devait-elle en avoir honte?
Non, elle avait fait son devoir jusqu'au bout...
elle ne pouvait rien se reprocher, lui rabâchait son frère;
et elle s'en était maintenant convaincue.
Elle aimait tellement cette liberté,
ce pouvoir de faire que ce qu'elle veut, quand elle veut...
que toute sa vie passée, lui apparait maintenant
comme une infinie contrainte.
Oh certes, elle n'est plus une 'princesse'' pour personne,
 elle est juste une ''vieille renarde'' pour Jacquot et ça lui suffit!

Soudain, elle s'aperçoit qu'elle n'a plus compté depuis, depuis….
Bizarre! Elle ne sait plus l'âge qu'elle a.......
peut-être 69 ?même pas sure !
Elle a l'impression d'être revenue en enfance avec son frère.

                                                                                                                  A suivre

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