La maison d'Alzheimer
Chapitre 5 eme

Appuyé sur ma voiture, Simon montrait un air inquiet,
je dirai même grave, comme quelqu'un qui doit révéler
quelques secrets (encore !)
<-Pauline, je ne pensais pas vous trouver ici,
    quoi que vous en pensiez... de même que vous non plus,
    je comprends votre surprise.->
J'opinai du chef, le visage fermé; il continua en rajoutant :
<-Il faut qu'on parle! Je vais vous demander la plus grande discrétion,
   même ma fille ne sait pas que je viens ici, deux fois par semaine,
   et ce, depuis trente ans.->
Il m'entraina gentiment vers un banc où nous nous posons et
commença son monologue qui ressemblait à une confession.

<-Trente ans que j'ai fait croire à tous, que ma femme était morte...
    et pourtant ! elle est là, vivante, mais aussi morte qu'une morte !
    Elle ne sait pas elle-même qu'elle est vivante...
    elle voyage dans des mondes inconnus où personne n'entre!
    C'est à la suite d'un AVC qu'elle et Alzheimer ont fait connaissance
    et ne se sont plus quittés...
    Longtemps elle a cherché ses mots, ses souvenirs tous disparus,
    et puis c'est sa voix qui s'est éteinte et puis les gestes.....
    Plus les années passent, plus elle ne répond à aucun stimuli.
    Je continue mes visites en sachant très bien qu'elle ne me voit
    même pas. mais je continue.
    J'espère que votre mari s'en sortira mieux qu'elle...->

<-Mais pourquoi avoir caché sa maladie, même à sa propre fille ?
    Simon, mais enfin... pourquoi avoir gardé secret
    cet internement et aussi longtemps.
<-Et comment avez vous fait pour tromper tout le monde???->

<-J'ai profité de l'absence de Colette, partie aux Etats Unis,
    pour un séjour linguistique, et je l'ai convaincu de ne pas rentrer,
    ses moyens ne lui permettaient pas de perdre son année.
    Pour le reste de la famille, ce ne fut pas facile, mais j'ai convaincu
    en lisant une lettre de ses dernières volontés,
    qui disait vouloir partir seule vers son pays d'origine .->
<-Pourquoi l'avoir préférée morte ? Je ne comprends pas!->
Il avait pris sa tête dans ses mains, et continuait à parler
de plus en plus bas.
<-Pauline, je ne peux pas vraiment vous dire...mais la peine
    pour un décès se vit en une fois; avec cette saloperie de maladie,
    c'est à chaque visite qu'on se meurt.
    C'est la même petite mort qu'on doit subir et pour longtemps!
    Je préfère vous mettre au courant; vous l'auriez appris sous peu.
    je suis un habitué des lieux, comme on dit ici.
   Je peux compter sur vous pour ne rien révéler, ni à Colette,
   ni à tout autre, hein?->
<-Oui, vous pouvez,  je respecte votre silence que je ne comprends pas
    mais ça ne me regarde pas; ce ne sont pas mes affaires .->

Les silences gênés se succédaient, courts mais fréquents;
aussi je préférais changer de sujet assez brusquement.
<-Et en parlant affaires... Avez-vous trouvé le propriétaire actuel
   de la maison des marais? Je vous ai dit mon intention,
   de peut-être l'acheter!->
<-Non, rien encore, mais j'y travaille … ->
Et puis soudainement, il mit fin à la conversation.
<- On se dit : à bientôt, Pauline? ->
Et il partit comme un voleur; On aurait dit qu'il fuyait mes questions
Décidemment, il n'était pas net, ce type.
Que de non-dit, de mensonges, de secrets dans sa vie...

Perplexe, je me dirigeai vers ma voiture et je rentrai chez moi.
Allez, ''laisse béton'' Pauline... demain sera un autre jour !
Je mange une soupe froide sur la terrasse et je câline mon chat.
La nuit porte conseil, j'y verrai plus clair (plus clair dans le noir! (sic)
Demain, j'irai au Cadastre. Ils pourront peut-être m'en dire plus?!

la maison abandonnée (5 ème)

Ma nuit fut agitée et mes rêves très nombreux, violents, inquiétants.
Je retrouvais la mobylette mais elle restait neutre comme la Suisse,
ne manifestant aucun intérêt pour moi !
Un engin, quoi ! un bête moyen de transport d'un autre temps...
La maison m'apparaissait tantôt remise à neuf, tantôt écroulée.
La vieille Suzanne se présentait à moi avec un tablier taché de sang
et son rire était satanique...à un autre moment, elle flottait sur l'estuaire,
face au ciel, elle tenait dans ses mains, au-dessus d'elle,
un acte de propriété qu'elle semblait lire .
Et soudain, c'était Simon que je voyais tout sanguinolant…
et lui aussi avait un rire sorti tout droit d'un film d'épouvante.
Alors que je croyais me réveiller, j'étais en proie à une angoisse
paralysante et humide comme si moi aussi, j'avais pris un bain forcé
dans l'eau limoneuse du bas de son carrelet de pêche.
Il me regardait me noyer avec ses yeux d'un bleu transparent !

La nuit fut longue !!!
Mais je parvins enfin à m'en extirper au lever du jour,
avec le corps meurtri, et je me repassais les différentes phases
de mes rêves-cauchemars, encore bien nets,
images et sons bien définis, dans les restes de mémoire nocturne.

Et soudain, un frisson glacé me parcourut toute entière...
je restais comme pétrifiée! Les yeux de Simon?
En vrai comme dans le rêve, ils m'avaient frappé à notre première
rencontre, mais là, ils devenaient une Révélation.
Ce bleu transparent... presque délavé, livide...?
C'était le même que celui des yeux de Suzanne Tournemal !!!

Cette vieille femme qui m'était apparue et s'était volatilisée
avec tout le mystère que je n'éclaircissais toujours pas.
                                          **********************
Le lendemain était un samedi de très beau temps.
Je retournais voir Colette, la fille de Simon et je la conviais à venir
chez moi, pour profiter d'un thé au bord de la piscine.
Elle fut ravie de profiter ainsi de son jour de congé.
Mine de rien, je la questionnais discrètement sur son père,
sur sa jeunesse à elle, sur sa mère...
Petit à petit, elle se laissa aller à des confidences.

''''Sa jeunesse avait été impactée par la disparition de sa mère alors
qu'elle était étudiante à l'étranger, mais son père avait été prévenant,
aussi avait-elle coulé des jours heureux jusqu'à la fin de ses études
et puis à son retour, elle s'était marié et avait eu deux enfants.
L'idylle avait pris fin d'un commun accord et depuis elle vivait seule,
entre son père, et ses enfants, maintenant devenus adultes et
parents à leur tour.
Elle était une jeune grand mère heureuse et choyée.
Elle adorait son travail, qui lui offrait des contacts humains
souvent amicaux et l'éloignait de tous soucis pécuniers.''''

<-Mais, votre père Colette, il n'a jamais refait sa vie?
    Savez vous pourquoi ?->
<-Oui et non, dit-elle... Surement parce qu'il avait trop aimé ma mère
    et aussi parce qu'il n'a jamais rencontré quelqu'un qui lui convienne.
    Faut dire aussi qu'il est un peu particulier !
   Outre son métier de la vigne et tout son travail pour la propriété,
   il a des passions qui lui prennent tout son temps libre.->

<-J'ai vu qu'il pratique la pêche au carrelet sur l'estuaire
    à coté de la  maison des marais.
    il m'a dit vendre ses crevettes pour payer ses petits loisirs.->
<-Ah oui, il a longtemps pris des cours de théâtre; 
    depuis quelques années, il joue des pièces burlesques dans
    plusieurs villages des environs.
    On lui reconnaît un certain talent de comédien.->
<-Il doit se grimer, utiliser des costumes, des maquillages,
    des perruques peut-être??? j'aimerai bien aller le voir sur scène...
    Vous me direz quand il jouera par ici, nous pourrions y aller
    ensemble, pour lui faire une surprise, quand pensez-vous?>
<-Mais avec plaisir, Pauline, une sortie ne me fera pas de mal!!! ->

Il ne me fallut pas attendre longtemps...
Le samedi suivant, une pièce était jouée dans un village d'à coté.
Je passais prendre Colette et nous voici bientôt installées au premier
rang, dans la salle des fêtes où se produisait la troupe de son père.
Lorsqu'il nous aperçut, il en perdit ses mots ! son visage rougit
et ses yeux lancèrent des éclairs.
<-Je me trompe, ou il n'a pas l'air content de nous voir, dis-je
    à l'oreille de Colette? Il n'aime pas qu'on vienne le voir jouer?->
<-Je ne comprends pas, d'habitude il est plutôt content,
    répondit Colette qui avait bien remarqué le trouble de son père .

Je souriais intérieurement; j'avais ma réponse! pour moi, plus de doute...
Suzanne Tournemal et Simon n'était qu'une seule et unique personne!

Maintenant, pourquoi cette mascarade???
Ça, il allait me falloir le découvrir .

                                                          A suivre

Retour à l'accueil